Je l’ai déjà écrit, un média comme ActivityPub est un agrégateur. Le principe de médias comme ActivityPub, comme Twitter, ou comme des pages Facebook (le principe de tout blog ou « microblog », comme on dit) est de diffuser des informations le plus largement possible.

Ça ne veut pas dire qu’au nom de ce principe, il ne faille pas protéger l’information (par exemple dans le cas d’un média payant, en empêchant la copie de cette information sur une base de données publique) ou les auteur·ices (en empêchant dans la mesure du possible les abonné·es de spammer, doxxer, stalker, harceler les auteur·ices). Donc pour moi il est évident que l’opposition média de diffusion (broadcasting media)/média social n’implique en rien de faire perdre un code de conduite en effet ou en portée, nul·le n’ayant à être insulté·e, sexualisé·e sans son consentement, dégradé·e, harcelé·e, menacé·e, etc.

Mon propos n’est donc pas « Ah, vous vous faites harceler sur une instance Mastodon ? Vous n’avez qu’à utiliser IRC ! » (on m’a déjà dit ça au sujet de Twitter, ça ne marche pas). Évidemment qu’en tant que média de diffusion, Twitter devrait mettre en place un code de conduite, mais ça impliquerait des échanges plus civilisés, avec plus de retenue, et donc moins de tweets, moins d’utilisateur·ices, et donc moins de publicités et moins de chiffre d’affaires. D’un autre côté, Mastodon semble n’être qu’un média de diffusion où chaque instance peut appliquer son propre code de conduite.

Il me paraîtrait donc problématique de considérer Twitter ou Mastodon comme des médias sociaux, si leur principe était justement de diffuser un ensemble d’idées justifiées par un background (vie quotidienne, recherche préalable, intérêt pour un sujet…) : les confondre avec des espaces (sociaux) de co-construction de ce background, ce serait considérer un espace d’auto-promotion, nécessairement public, comme un espace d’apprentissage, ce serait confondre un espace conçu pour publiciser une performance ou une trajectoire performante avec un espace conçu pour se tromper, faire des erreurs, et oublier ces erreurs.

Si l’on gomme la frontière entre les interactions en ligne et celles du reste de la vie quotidienne, cela signifie que gommer sur l’internet celle entre la publicisation et la socialisation, ce serait la gommer dans le reste de la vie quotidienne; ce serait politiser l’erreur, ce serait confondre le principe vital et nécessaire de « rien sur nous sans nous » (le problème de la confiscation de parole et de l’invisibilisation des concerné·es) avec l’idée qu’une personne non-concernée ne pourrait décemment pas s’exprimer sur une oppression (ou jouer son rôle d’alliée ?1).

Il serait particulièrement regrettable de laisser un problème de terminologie nous détourner de l’aspect véritablement social de l’internet en ce qui concerne la politique, ne serait-ce que concernant le vote2. Car substituer la diffusion d’une idéologie ou d’une praxis, ou d’opinions politiques ou de valeurs, à leur co-construction, ce serait diffuser et pratiquer une coquille vide.

Cependant, en contrepied d’une conception idéalisante d’une distinction entre média de diffusion et média social, qui dans mon cas est due au fait que j’utilise honk, je veux souligner que la plupart des médias de diffusion dits « microblog » (puisqu’évidemment, si l’on publie régulièrement sur sa vie quotidienne ce n’est pas un simple blog ?) comme Twitter ou Mastodon, en notifiant leurs utilisateuxices car un média (tweet ou toot) a été « liké » ou partagé, n’implémentent rien de moins que le brain stimulation reward, des expériences dérangeantes où les sujets pouvaient auto-stimuler une implantation crânienne jusqu’à en mourir.

Dans une étude publiée en 1986, un sujet à qui a été donnée la capacité de s’auto-stimuler chez soi a fini par ignorer sa famille et son hygiène personnelle, et passait des jours entiers à s’auto-stimuler. Au moment où sa famille est intervenue, le sujet avait développé une plaie ouverte à son doigt à force d’ajuster le courant.3

Les médias de diffusion les plus populaires, en termes d’activité et d’utilisation, ne le sont pas pour rien. Car un média de diffusion, de « microblog » qui plus est, consulté pendant 2h par jour est-il un bon média ? S’inscrit-il de manière réellement utile dans le reste des activités de la vie quotidienne ? D’autres aspects problématiques de ces médias peuvent être soulevés. Mais d’un point de vue micro-sociologique, prendre un média de diffusion pour un média social, c’est accepter une certaine érosion des normes sociales. Un flux continu de relations sans lendemain, avec des personnes dont on aura oublié le pseudonyme d’ici quelques jours, tend naturellement à délier l’aspect « social » des interdépendances et escamote les normes de la « société civile », les remplaçant par celles de relations intercommunautaires avant tout façonnées par l’interface de communication.

Ces interfaces de communication semblent augmenter le débit de messages pour y intercaler des publicités. La fonction sur Twitter de partage avec commentaire, utilisée par certaines communautés à la fois comme arme politique, et sur le mode de la dénonciation des valeurs d’autrui, augmente le nombre de publicités affichées et sur-stimule les utilisateuxices, qui en réaction à cette surstimulation exploseront de colère… à travers la fonctionnalité de commentaires. À la racine du problème, le mécanisme de BSR provoque à la fois une FOMO (Fear Of Missing Out)4 (et des réactions garanties), mais aussi une surstimulation que les commentaires viennent renforcer et pérenniser.

Il s’agit ici des normes sociales vernaculaires remplaçant celles ayant normalement cours. De cet angle, on peut voir le glissement du terme « radical », principe avant tout philosophique et philosophiquement politique, vers une normalisation « politique » des comportements précités. Mais il faut voir dans la position de surnuméraire5 ce mode d’action collective qui semble tant déranger des personnalités publiques : suis-je le seul à noter l’écart de ces dernières avec des personnes qui, culturellement incapables de s’organiser politiquement, sont animées par une telle libido politique ?

Visiblement oui. Et je m’étonne, à travers les critiques de ces plateformes, de la naturalisation de leurs interfaces, comme si elles n’étaient pas suffisamment différentes de toute interaction produite dans tout contexte hors-ligne pour être interrogées. Comme si la recherche publique en psychologie n’abondait pas en études et comme si leurs statuts de personnalités publiques relevaient avant tout du hobby…

Il faudrait en effet être naïf·ve pour voir en Facebook ou en Twitter de simples médias de diffusion. Leurs interfaces ne sont pas implémentées en termes de fonctionnalités proprement dites mais car en tant que produit, ce ne sont que ceux de leurs investisseurs. Ce qui est vendu par Facebook, c’est une interface produisant des modalités interactionnelles, et c’est l’interaction de ses utilisateuxices avec son interface qu’elle vend à ses investisseurs. Mais il ne s’agirait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et le média de diffusion (ActivityPub) avec son implémentation capitaliste la plus « pure » (Twitter).


  1. Je pense ici à une interview de Chris Debien, psychiatre, sur le rôle joué par l’entourage des personnes schizophrènes pour faire entendre leur humanité, leurs souffrances, leurs besoins. ↩︎

  2. Bien qu’évidemment, la politique ne se subsume pas dans le juridique. Poser de nouvelles règles peut être nécessaire pour résoudre un problème, mais n’y suffit généralement pas. ↩︎

  3. Brain stimulation reward (Wikipédia). ↩︎

  4. gemini://rawtext.club/~cmccabe/slow.gmi ↩︎

  5. gemini://tilde.team/~ged/gemlog/001-médias-sociaux.gmi= ↩︎